lundi 4 décembre 2017

A la manufacture d'armes

Octobre est venu.

Il fait déjà plus froid, l'eau monte, la pêche se termine.

Je suis avisé que les cours ne reprendront pas à l'école des Arts et Métiers. Je ne puis m'éterniser là à ne rien faire ; il me faut trouver du travail.

Il n'est pas difficile pour moi de me faire embaucher à la manufacture d'armes de Châtellerault et j'irai passer dans cette géhenne 4 ou 5 mois mémorables. 11 heures de travail par jour sans dimanches ni fêtes. J'ai comme compagnons de travail beaucoup d'étudiants, des Gadzarts comme moi, mais également des aspirants avocats, médecins ou notaires. Tous fils à papa qui sont bien embusqués dans cette manu. Ils n'y connaissent bien entendu absolument rien, pataugent dans la graisse et se font pincer les doigts dans les engrenages.

Tous y finiront la guerre. Les lois successives n'ayant jamais eu de résultat plus fâcheux que.... de les faire permuter d'un service à l'autre.



Il y a là aussi mon cousin Fabien Richou que nous appelons - je me demande bien pourquoi - Polyte. C'est un fort gaillard de 25 ans animé d'une sainte horreur pour le combat. Il restera là, envers et contre tout, se faisant porter malade, absorbant des pilules pour se créer des glandes quelque part, s'engageant même dans la police secrète. Il restera toute la guerre à Châtellerault amassant là - car tous étaient bien payés - un solide pécule qui lui permettra de s'installer à son compte sitôt rentré à Angers et de devenir un des plus notable commerçant du lieu.

Je ne suis pas un ouvrier modèle. Avec quelques copains de la promotion : Machet, Pignon, le Mandarin, nous faisons pas mal de bêtises. Le contremaître ne tient tellement pas à ma présence qu'un jour, il m'appelle :

"Mazé, n'auriez-vous pas, par hasard, une belle écriture ? "

Je pressens un filon.

- Si monsieur, bien sûr, ça fait partie du programme.

- Et avez-vous aussi un camarade qui écrit très bien ?

- Mais si, bien sûr, Monsieur. Mon camarade Marquet est, on ne peut mieux, doué sur ce chapitre. "

Ce n'est pas vrai d'ailleurs, Marquet écrit comme un cochon, mais c'est un tellement bon copain. J'aurais plaisir à l'avoir avec moi dans une embuscade quelconque.




On nous a envoyés plus loin, dans un bureau où un petit vieux à calotte noire et à manches de lustrine nous a donné un état à copier. Nous avons calligraphié en belle ronde : "État des outils durs" (comme s'il en existait des mous). Cela a bien demandé une demi-journée. Après quoi nous avons attendu. Il y avait un poêle qui ronflait dans le bureau et sur lequel nous faisons cuire des pommes. Le petit vieux ne disait rien. D'avoir ainsi deux employés sous ses ordres donnait de l'importance à son service.

Nous faisions de longues études à travers la manu, allions voir les copains qui travaillaient aux caissons, d'autre à la hausse ou bien descendions-nous jusqu'au tunnel où un zèbre derrière un chevalet procédait aux essais des fusils et des mitrailleuses.

Ah, c'était le bon temps !

Malheureusement, il y avait cet espèce de zèbre qui s'appelait Marquet. Au bout de quinze jours de cette délectable inaction, il s'en fut trouver le commandant qui dirigeait l'atelier central de réparations où nous étions et lui signifia tout de go que nous ne fichions rien dans notre rôle de gratte-papier où nous étions conviés, que ce n'était pas dans notre tempérament de Gadzarts de ne rien faire, que de plus nous avions à apprendre à nous servir des machines. Bref, le commandant compréhensif nous reverse sans plus attendre dans l'atelier dont nous sortions.

Ah, Fil d'Efs (c'était le nom de Gadzarts de Marquet) -fil de fer- car il maigre et long comme une tringle à rideaux). Fil d'Efs, dis-je, qu'avais-tu fait là ? Sans ton intervention, nous y serions peut-être encore.




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