dimanche 25 février 2018

A la ferme des Naviaux

L'horizon devant nous est complètement fermé par le bois des Hauts-Bâtis à notre droite ; bois de la Placardelle devant nous. Nous devons être à hauteur du village de Florent, mais à 2 ou 3 km sur la gauche en regardant le front.

D'après Géoportail - carte actuelle


Nous avançons toujours pour arriver finalement dans une vaste ferme collée contre une falaise qui la préserve en quelque sorte des coups ennemis.

Arrêt - c'est la ferme des Naviaux (cercle orange), à mi-chemin, semble-t-il, entre La Neuville-au-Pont et Vienne-la-Ville. Baraques Adrian, vieux bâtiments de briques. Voici notre nouveau cantonnement.



De suite, déséquipés, ayant repéré nos emplacements sur des cadres en treillis métalliques laissés par nos prédécesseurs, nous montons sur la falaise pour voir plus en avant en direction des lignes. Nous ne voyons rien, sinon un rideau d'arbres qui nous barre l'horizon, et ....
.... un lieutenant d'état-major qui nous engueule copieusement.
1° parce que nous ne l'avons pas salué, 
2° parce que nous n'avons rien à foutre là ! Nous risquons de faire repérer l'état-major qui cantonne dans le château à côté, derrière le rideau d'arbres.

Hélas, nous ne sommes pas encore en lignes.

Le lieutenant Roetlinger qui commande la compagnie organise le travail : nous exécuterons une ligne de soutien complète entre la route de Sainte-Menehould à Ville-sur-Tourbe et la ferme où nous sommes.

Pour une fois, l'administration militaire a fait quelque chose d'intelligent :
1° - parce que rapprocher ces jeunes recrues du front graduellement en les habituant petit à petit aux misères et aux dangers, c'était déjà bien, c'était un apprentissage que les classes précédentes n'avaient pas connu.
2° - parce que le travail fait par ces bataillons de jeunes était utile : exécuter une position de repli -dont on peut toujours avoir besoin - , tranchées, réseaux, abris profonds, repaires de mitrailleuses ; tout cela exécuté dans de bonnes conditions, presque en sécurité d'après un plan de défense  bien arrêté, c'était augmenter le potentiel défense de la position.

Le lieutenant : une vraie brute, un bourreau même à la limite.

Malheureusement, le lieutenant qui nous commande est une véritable brute (on le dit Alsacien). Hélas, je croirais plutôt qu'il soit tout simplement un boche qui s'est faufilé dans l'armée française pour dégouter les jeunes et saper leur moral. Chaque jour, nos jeunes recrues doivent effectuer des tâches harassantes ; beaucoup de pauvres types n'y arrivent pas malgré une bonne volonté des plus évidente. Les mains farcies d'ampoules, épuisés, nos jeunes en pleurent de fatigue. Nous, sergents, leur donnons la main, encore faut-il se cacher de cette brute de Roetlinger.
Le soir venu, l'heure de la soupe arrivé, tout le monde redescend aux Naviaux. Ceux qui n'ont pas terminé leur tâche devront revenir le lendemain matin avant la reprise du travail pour achever le boulot de la veille.

Il n'y a pas de prison dans notre cantonnement. D'ailleurs, je n'ai jamais vu de prison au front ... sauf aux Naviaux. Roetlinger a fait creuser dans la craie un puits de 4 mètres de profondeur. Les prisonniers sont descendus au fond. On retire l'échelle... et le tour est joué.

Une forte tête s'étant manifestée, Roetlinger l'a fait attacher à la grande roue d'un fourgon et le type a dû rester là toute la journée... un vrai truc de tsar de toutes les Russie.

Détesté de tous ses hommes.

Bien entendu, nous exécrons tous ce commandant de compagnie. Il ne survivra pas,du reste, à la campagne. Versé dans une compagnie du front, il fut tué lors d'une attaque. On a même prétendu que la balle ne venait pas d'en face, mais plutôt de notre côté. Bien sûr, moi, je n'y étais pas.

Géoportail - Les environs immédiats de la ferme des Naviaux. 
On y voit bien la rivière et les courbes de niveau bien serrées pour la falaise.

Notre ferme est située tout contre l'Aisne. Nous essayons bien de capturer quelques poissons mais la chose semble à peu près impossible ; toute la gent aquatique ayant été mise à mal par les obus d'abord et ensuite par les poilus et leurs grenades.

Mais ceci n'est qu'un détail. Notre organisation se fera rapidement, et bientôt nous aurons, et des abris dans la falaise, et une popote de sous-off fort joyeuse. Nous construirons même un bateau pour naviguer sur l'Aisne avec des pelles de sapeur comme pagaies.

J'ai souvenance d'une cuite mémorable au mousseux, d'un vigoureux bombardement sur notre ferme, toute une nuit. Les obus qui échappaient le sommet de la falaise rasaient le faîtage de nos baraques et s'en allaient éclater à 3 ou 400 mètres plus loin dans les champs en contrebas.
Peut-être n'était-ce pas très dangereux, mais ça sifflait bougrement et nous n'étions pas très à l'aise sur nos couchettes. Il y eu d'ailleurs des blessés par la suite.











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