lundi 27 février 2023

D'autres ennemis

 Quelquefois, malgré tout, nous essayons de nous coucher dans le réduit attenant. Cela consistait à s'étendre tout habillé sur du grillage tendu sur un cadre de bois mais dormir y était difficile.

Des difficultés qui s'avéraient presque insurmontables !

D'abord les rats.

Les rats traitaient le lieu en pays conquis, se poursuivaient avec des cui-cui invraisemblables, nous courant sur la figure, mangeant les lacets de cuir de nos godillots.

Ah ! Il faut les avoir entendu fourgonner et crier, les rats du Four de Paris pour savoir ce que c'est qu'une invasion. 

Après une chasse aux rats dans une tranchée de 2e ligne, 1915. Le tableau dessin au crayon encre réalisé par Léon Durand. © Paris, musée de l’Armée, Dist. RMN-GP / image musée de l’Armée

 

Les rats, les poux. Mais les poux n'étaient rien à côté des rats. On vit avec ses poux, on s'y habitue. On ne prend même plus la peine de les chercher, persuadés de l'inutilité d'une telle offensive. Vous en tuez cinquante, il en revient cent.

En octobre 1914, l’artiste Mathurin Méheut (1882-1958) est incorporé au 136e régiment d’infanterie d’Arras. Puis de 1916 à 1917, il est détaché au service topographique et cartographique à Sainte-Menehould puis à Bergues. La chasse aux Totos est l’un de ses Croquis de guerre témoignant de la vie dans les tranchées. © Paris, musée de l’Armée

 

J'ai possédé plus tard au Kemmel (*), en 1918,  une paillasse vivante composée en parties égales de sciure, de paille et de poux. Une paillasse vivante. J'avais l'impression qu'elle bougeait. J'y dormis fort bien. Avec les rats, impossible.

Nous nous mettions quelquefois en colère contre eux et décidions d'une opération. DEans le réduit où nous couchions, nous disposions à terre des reliefs de repas. Nous nous mettions en cercle autour de cet appât, chacun une pelle à la main et nous faisions l'obscurité. Au bout d'un moment, les trottinements se multipliaient et nous avions l'impression d'un grouillement au centre de notre cercle. Un jet de lampe électrique et toutes les pelles s'abattent en même temps. Il reste quelques cadavres. Mais c'est une goutte d'eau dans la marée des rats qui nous assaillent.

Il y avait aussi le moteur. Un vague petit moteur à gaz pauvre (gazogène) qu'on a logé dans une cabane en planches adossée au réduit qui nous sert de dortoir.

Ce moteur sert à fabriquer un courant poussif qui arrive quelquefois à faire rougir -de honte, sans doute- les filaments des lampes électriques que nous avons dans nos mines. Il marchait toute la nuit. Flop, flop, flop,... atchi, atchi, ... flop,flop, flop. Les flops correspondent bien au temps moteurs, les atchis à la marche à vide. J'avais compté ces flops irréguliers ; ils se suivaient quelquefois jusqu'à 10 de suite, jamais plus. Il se produisait toujours un atchi, atchi avant.

Il fallait être impatienté (?)  de ne pas dormir pour s'amuser à compter les flop flop et les atchi atchi.

 


 

(*) Le mont Kemmel se situe dans les Flandres belges. Il fut le lieu d'âpres combats en 1918.




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