vendredi 8 décembre 2017

Affecté au 9ème Génie

DEUXIÈME PARTIE
Bernard Mazé, l'armée : l'instruction

10 avril 1915, les jours suivants.


Je me revois encore ce matin-là, un beau samedi ensoleillé, à ce qu'il me souvienne, présentant mon ordre de route à l'employé de la gare de la Possonnière chargé du contrôle :

"S.M. Bernard Mazé affecté au 9ème régiment du génie - garnison de Verdun, détaché présentement aux Ponts-de-Cé (Maine-et-Loire)"

J'ai dû présenter ça d'un petit air détaché qui voulait dire " Voyez, moi je ne m"embusque pas ! Je pars et de plus, comme vous pouvez le constater, je voyage à l'oeil !"

Comme de bien entendu, le père Mazé m'accompagne.

L'express de Cholet s'est arrêté deux minutes, et bien vite, dans le fracas des aiguillages qu'on traverse, nous voici partis vers Angers, avant-dernière étape.

De suite, dans le couloir du wagon, j'ai remarqué un naturel du pays, affublé d'un petit paletot cylindrique et qui tient à la main la valise de toile jaune et délavée que la famille s'est passée de génération en génération. Un jeune soldat, à n'en point douter. Je lui demande son nom : Esnault. Il vient d'une ferme perdue dans les bois du côté de Saint-Martin-du-Fouilloux. Il s'en va au 9ème Génie ! Tiens ! Comme moi ! Il a l'air parfaitement idiot le pauvre type.

Mais nous arrivons à Angers où, avec le père Mazé, nous allons déjeuner chez nos amis Guillaume. Vins blancs, café, fine, congratulations, embrassades ; les rites sont accomplis.

Le soir je me retrouve devant la gare Saint-Laud où un premier jus braille pour rassembler les ouailles du 9ème Génie.

La gare Saint-Laud d'Angers


"Vingt dieux ! Mettez-vous en rangs... allez, par quatre ! En avant...arche"

J'ai fait mes débuts dans la vie militaire.

Mon voisin qui me semble un peu plus dégourdi que les autres s'appelle Pieffer. Il est d'Étain où ses parents sont restés. En marchant vers notre destination commune, il me confie ses malheurs : l'arrivée des Boches, la séparation, l'exil, la misère. Il est sans nouvelles de ses parents. Bien sûr, je le plains mais ce sont les à-côtés de la guerre et ceci ne m'intéresse qu'assez médiocrement.

Nous sommes arrivés aux Ponts-de-Cé. Comme le détachement n'était pas très nombreux,  le 1er jus nous a invités à prendre le tram.




Voilà un garçon à l'intelligence vraiment trop ouverte pour faire quelquefois un bon adjudant.


St-Maurille des Ponts-de-Cé. Une vague vieille maison au long d'une vague vieille rue derrière l'église.



Dans la salle basse et enfumée où règne une odeur écœurante de rance et de crasse, les derniers gars de la classe 15 sont couchés. Ils nous indiquent à Pieffer et à moi une paillasse libre où nous devrons coucher tous les deux..... ma première nuit blanche de la guerre !

Le lendemain donc, un dimanche, je fais connaissance avec la bureaucratie de l'endroit qui m'affecte à la 39ème escouade. C'est au Chêne-Rond tout en haut de la côte d'Érigné vers Cholet. Une vieille maison sur la gauche avec une petite grille bon enfant, c'est là. La maison est vide. Quelques bottes de paille en constituent le seul ameublement.

Devant cette maison, un bistro. Excellente situation géographique que nous mettons tout de suite à profit. Le rouget du pays (on ne l'appelait pas "rosé" en ce temps-là) vaut deux sous le litre. Il est bien un peu acide mais nos estomacs de vingt ans s'accommodent de tout. Ils en verront bien d'autres.

Et le soir, nous nous retrouvons tous, pêle-mêle dans la paille où nous nous étendons tout habillés. L'un de nous qui chante à peu près (il s'en trouve toujours) lance des chansons patriotiques que tout le monde reprend au refrain, et puis, sans souci du lendemain, nous dormons.

.Le lendemain, rassemblement. Nous allons sur la route d'Érigné apprendre à marcher au pas, exercice ténu que dirige encore notre bien gentil premier jus.

La côte vers Cholet, une longue ligne droite, idéale pour apprendre à marcher au pas.

Le soir, grand branle-bas ; rassemblement de toute la compagnie à Érigné. Inspection de son commandant, en l’occurrence l'adjudant Taton qui est gras, court sur pattes et qui prend un air de croquemitaine pour nous assurer que "la discipline faisant la fooorrrrce prrrrincipale des armées. Tout militaire est tenu ... etc.". Nous en avons une peur bleue de cet adjudant Taton. Il symbolise pour l'instant la grosse légume, l'important chef militaire qui tient notre existence entre ses mains.

Et nous rentrons dans la paille du Chêne-Rond.
On nous a fait une première distribution ; une gamelle neuve avec une cuillère et une fourchette en fer.et nous nous présentons ainsi nantis à une cuisine de territoriaux qui, à côté, sont mobilisés à cet effet. Le long d'un mur quelconque, ils ont disposé des tuffeaux sur lesquels ils ont installé en équilibre une énorme lessiveuse. Le menu est invariable : une "loucherie" de bouillon où nagent quelques vagues légumes et un quartier de barbaque, rebut du boucher voisin.

Et l'on s'en va s'asseoir sur la margelle du puits prochain serrant cette gamelle qui vous brûle et dont vous tirez après absorbé le bouillon, un affreux morceau de gras qui vous graisse affreusement les doigts.

Et nous couchons toujours tout habillés... et cela dure un mois, deux mois, je ne sais combien. Ceuxui n'ont pas apporté de linge de rechange font un drôle de nez. Forcés de laver la seule chemise qu'ils possèdent, ils doivent s'en passer quand celle-ci sèche là-bas au soleil printanier. Les vêtements non plus ne tiennent pas le coup et, bientôt, nous avons tous l'air d'une armée de clochards.

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