samedi 16 décembre 2017

Habillés, équipés, entraînés

Grande nouvelle ! On nous habille. A Saint-Maurille où nous sommes descendus, on nous affuble d'oripeaux dérisoires propres à nous discréditer à tout jamais près des jolies Ponts-de-Céaises.

J'hérite d'un vieux pardessus noir, sans formes bien définies, d'un ceinturon en toile marron qui a déjà de la bouteille, d'un pantalon à carreaux et d'une paire de godillots racornis à souhait, durs comme du bois, des godillots retour du front. Pour arranger le tout, de petites jambières de toile de 15 centimètres de haut. Je crois me rappeler que la "mobile" en avait de semblables en 1870. Au fait, ce sont peut-être les mêmes qui ont subsisté.
Coiffons le tout d'un képi noir, tout noir, d'un aspect sinistre.

Mais ce qui refaisait l'homme, c'était l'armement.

Notre pétoire modèle 1874 avait du moins une dimension respectable. La baïonnette était gênante. Pour les grands cela allait encore mais pour les petits, elle traînait lamentablement par terre et il fallait que le pauvre poilu la tienne toujours à la main pour l'empêcher de ferrailler sur les pavés.

Un jour, on nous conduisit au "tir". C'était à Grand-Claie si je me rappelle bien. Le Génie d'Angers avait envoyé sur place une caisse de cartouches. Bien entendu le fourrier du 6ème n'avait pas une seconde pensé à nos pétoires de 1874 et il avait fait conduire sur place une ou deux caisses de cartouches pour Lebel. 

Note : la "pétoire" 1874 est un fusil Gras. C'est un fusil à verrou créé en 1874. Il fut la première arme d'épaule adoptée par l'armée française à utiliser une cartouche métallique 11 mm qui était en laiton et à percussion centrale. C'était une transformation simple du chassepot de 1866.

Le fusil Gras a subi une dernière modification en 1914, pour pallier le manque d'armes, consistant en un changement de canon afin de pouvoir tirer la munition 8 mm Lebel.

C'était marrant ! Je me souviendrai toute ma vie de la g.... du sergent qui nous expliquait la manœuvre à exécuter.
"Garde à vous ! Repos ! J'vas vous expliquer comment qu'on introduit la cartouche dans la culasse. Regardez bien."
Et que je te pousse la cartouche dans le canon. Et que je te manœuvre la culasse mobile.
"Voyez, le fusil est armé."
A ce moment comme le sous-off penchait son arbalète, nous entendîmes un petit crissement métallique et nous vîmes la cartouche, avec une innocence touchante, tomber de la bouche du fusil tout doucement dans l'herbe verte.
Ce fut un éclat de rire mémorable, mais le plus beau  c'était certainement la gueule du sergent qui mit un moment à comprendre ce phénomène de la mécanique. Ayant enfin ramassé la cartouche, l'ayant retournée dans tous les sens, il finit par consentir : "J'ai pas d'excuse, elle est trop petite. Ils se sont gourés."

Note : le fusil Gras modèle 1874 utilisé par le sergent n'avait sans doute pas été modifié pour s'adapter aux cartouches Lebel.

Nous faisons l'exercice dans les prés en dessous de Murs, "les Places", comme on dit là-bas.
Puis la grange des Papin étant jugée décidément inconfortable, on nous loge dans le jeu de boules couvert derrière la mairie.
Là, du moins, nous aurons des paillasses au moins et, sans doute, un sac de couchage.




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