dimanche 27 octobre 2019

La popotte des sous-officiers

Là est une petite construction en pierres sèches collée contre la falaise et couverte de tôles. C'est la popote des sous-officiers de la compagnie, la P.D.S.O. comme nous l'appellerons toujours.

Mon émotion s'est un peu calmée. Vraiment nous voici tout près des lignes et tout se passe comme si nous étions à quelques kilomètres en arrière ; n'était-ce le le bruit du bombardement qui roule par là, quelque part dans la vallée.

Dans un coin, le cuistot fait sa popote sur une vieille cuisinière pourrie trouvée par là dans les ruines. Dans cette popote, une table longue avec deux bancs. il n'y a pas de luxe. Oh ! non. Mais on peut tenir.

Les sous-off de la compagnie

Des sergents sont là, attablés, qui jouent aux cartes, au tarot, jeu régional des Jurassiens, dont le bataillon est originaire. Il est vrai qu'en ces temps de guerre, il est venu des renforts de partout, mais le tarot a subsisté et subsistera encore jusqu'à la fin.

Il y a là Derrey dit Totor, un mince charpentier parisien, vrai titi, toujours blagueur.

Tonnaire, un charpentier lui aussi, mais du Jura, et aussi large et fort que l'autre est fluet. Il a une tête qui me fait toujours penser au Quasimodo de Notre-Dame de Paris. Une tête énorme avec de gros sourcils qui vont dans tous les sens, une bouche qui est fendue jusqu'aux oreilles et édentée à souhait, une peau pustuleuse. Mais son aspect n'a rien à voir avec on caractère qui est serviable et charmant. Nous l'appelons "le Gros".

Allély dit "Fesses de rat" complète ce trio de charpentiers. Un type chic, toujours de bonne humeur. Il est de Villemomble.

Nous aurons plus tard un 4ème sergent charpentier : Varrant de Lons-le-Saulnier. Décidément ces artisans du bois détiennent la majorité. 

A côté de ces techniciens, on trouve Gerber, un jeune de la classe 15 qui devait être ouvrier à l'Alsacienne à Belfort. [Note de jph : sans doute, la Société alsacienne de Constructions mécaniques qui fabriquait notamment des locomotives à Belfort. Plus tard, l'entreprise deviendra ALSacienne-THOMson soit ALSTHOM, ça vous dit.]

Collection particulière

Collection particulière
 Échelain, classe 15 également, dit "Le Migne" car il est le plus jeune des sergents. Ce nom me reviendra quelques jours plus tard lorsque ce sympathique petit camarade fut tué.

Site "memoiredeshommes"
[Note de jph : Sur "MemorialGenWeb", il est précisé qu'il a été "tué dans la mine S.5 par explosion d'une contre-mine allemande à 06 heures 05."

Louis Alfred Maurice Échelain figure sur le livre d'or du ministère des pensions pour la commune de Bétancourt, sur le monument aux morts de cette commune, sur le monument aux morts et sur la plaque commémorative de la mairie à Chaumont (Haute-Marne).]

Billet dit Jo, un grand beau garçon qui sera tué, lui aussi, un peu plus tard, lors des criminelles attaques de mai 1917.


Lombard, que nous appelons Pierrot parce q"il s'appelle Pierre, bien entendu. A fait quelques études dans une école professionnelle et s'est engagé.

Arpin qui est un beau et grand garçon de Torcieu dans l'Ain. Son surnom GG veut dire "grande gueule"... sans doute parce qu'il l'ouvre un peu plus que le commun des mortels.

Delattre dit "Milo", il s'appelle Émile, un Parisien au cœur d'or. Il était, avant la guerre, artisan en vannerie artistique. Son père, un "vieux de la vieille", n'a pas voulu le laisser partir seul à la guerre. Il s'est engagé à 62 ans, a réussi, avec quelques protections, à rejoindre son fils à la compagnie et puis a été tué devant la Fontenelle en 1915.
[Note de jph : un article sera prochainement consacré à ce poilu aux cheveux blancs].

Guet, un Juif, qui nous quittera d'ailleurs un jour prochain, parti on ne sait où.

Auffret, qui arrive comme moi. Un Breton celui-là ; un gros commerçant en pommes de terre. Il va rester trois mois et disparaîtra. " 2 petits tours, et puis s'en vont"...

J'allais oublier mon vieux Miraillet, le "brigadier" dont les parents sont pharmaciens à Lyon. Un vrai bon copain.

Et puis, Larderey dit "Love you", mon dieu, pourquoi ? et qui n'est pas là pour l'instant. Il vient d'être blessé, le veinard, et tire sa flemme dans des draps bien blancs quelque part à l'arrière.

Il y a aussi les embusqués.

Debrieu, sergent dessinateur, un Auvergnat pur sang. Le capitaine, dès la première fois, a mal lu son nom, l'appellera toute la campagne "Debireu".

Il y a aussi notre chef (lisez sergent-major), notre génial Bataillard, adjoint technique des Ponts-et-Chaussées. Un très intelligent et charmant garçon que nous aimons bien tous. C'est pourquoi, certains prosaïstes se sont attaqués particulièrement à lui.


Dans le cahier de Bernard Mazé

La photo originale ne fait que 33 millimètres de diamètre




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