vendredi 25 octobre 2019

Direction "Le Four de Paris"

TROISIÈME PARTIE
Compagnie 7/2 du Génie
Secteur du Four de Paris
Sous-secteur Saint-Hubert
Octobre - décembre 1916.

Cette fois le sort en est jeté. Je vais connaître la vie des toutes premières lignes. Sac au dos. En route pour Châlons. Nous avons le temps. Nous allons tous les trois, les 2  Streith et moi, rendre visite à la mère de Seichepine, un bon camarade de ma classe que j'ai connu à Érigné puis à Colligny. Il est parti en renfort il y a 8 jours, nous dit sa mère, et précisément à cette compagnie 7/2 où nous allons.

Collection particulière
La mère de Pipine tient une grosse épicerie dans le centre de la ville. Très gentiment, elle nous remplit nos bidons dont un de rhum et nous donne un gros colis pour son fils.

Gare de Châlons - Il faut l'avoir vue le soir vers 10 heures, à l'heure de la marée montante dans on fourmillement bleu horizon, retour de permissionnaires aux musettes gonflées, renforts qui partent avec leurs sacs trop lourds et leurs armes bien astiquées. Sidi  aux chéchias kakis, Russe, Polonais... un mélange de peuples et de cris, d'appels,.. de gamelles qui tombent ou de baïonnettes qui tintent. Et tout cela s'engouffre dans des trains noirs, sans lumières bien sûr, car la ligne qui dessert le front passe quelquefois à portée de l'artillerie allemande.

Le train s'ébranle au milieu d'un grouillement qui se rue dans les compartiments au bois nu "Le dur", et cela au bruit des cris d'ivrognes, de voix avinées et rauques, de chants obscènes.... et d'obscurité.

Collection particulière


1ère station : La Veuve - Quel nom sinistre pour un pays. Et comme il donnait à penser aux jeunes mariés qui montaient en ligne quand l'employé le chantonnait en courant le long du train noir.

Saint-Hilaire-le-Grand - nom connu où tous les poilus sont passés.

Suippes - Si proche du front et souvent bombardé.

Valmy - de célèbre mémoire.

Sainte-Menehould : nous sommes arrivés. 

Donc ce vendredi 13 octobre 1916, nous nous chargeons de notre barda pour gagner Florent, petit patelin proche des lignes où se tient le train régimentaire de la compagnie. Mon sac est lourd qui s'additionne à l'équipement . Outre les 200 cartouches, j'ai tout mon matériel de fabricant de bagues (??), tubes d'aluminium, limes, étau, etc. et un chargement de lettres diverses, comme tout bon poilu en trimballe d'un bout à l'autre du front.

Mais ô joie ! Dans un fourgon de ravitaillement qui nous croise, je reconnais Gillot, un aspirant, qui était avec moi au cours à Angers en 1915. Il s'arrête. Lui auusi m'a reconnu. Il est à la 7/2, donc tot va bien. Encore du pot !
Il me présente un sergent qui l'accompagne - Bourgeot dit Béo - un type qui peut avoir 30 ans et qui est, lui aussi, Gadzarts. Décidément je tombe en pays de connaissances. Disons tout de suite que cela ne me servira absolument à rien. Gillot sera muté quelques jours plus tard, nommé sous-lieutenant sans doute, et changé de compagnie.Quant à Béo, mon vétéran Gadzarts, il ne m'a jamais par la suite manifesté de sympathiques sentiments gadzariques .... et je le lui ai bien rendu.

Collection particulière

Nous mettons nos sacs dans le fourgon et en route pour Florent. Nous cassons la croûte avec les gars du train puis, dans la soirée, montons dans le fourgon de "Béo" qui va nous conduire à la compagnie en ligne du côté du Four de Paris, nom de si sinistre mémoire. Je prends place à côté de Béo sur le siège du fourgon et en route. C'est le moment d'ouvrir les yeux.

La route descend en serpentant vers Le Claon, puis La Chalade. De ces villages, il ne reste que des ruines habitées par des poilus qui vaquent, crasseux, à leurs occupations.
Le paysage devient sinistre Une vallée noire, resserrée où le grondement des départs et les explosions des arrivées se mélangent se répercutant sans arrêt d'une pente à l'autre.

Collection particulière

Des trous d'obus, des troncs déchiquetés, des débris de ferme. "Le Four de Paris" me souffle Béo en pressant ses canassons car le coin est mauvais Là-haut, sur la crête, à droite, un camouflage déchiqueté qui doit cacher un peu la route aux vues des boches

Sur le versant du coteau, un véritable village préhistorique Des entr&es d'abris béantes et sombres en font une gigantesque taupinières d'où émergent des faces hirsutes... Les poilus : le mot ici prend toute sa valeur... Ils sont noirs de poil et de crasse, habillés de façàon hétéroclite, de vieux képis sans forme, des bérets crasseux, des peaux de mouton, de simili bottes de toile à grosses semelles de bois.

Des fumées montent de ci de là ; les cuisines sans doute.

De temps à autre, un "gros noir" déroule en volutes son nuage de suie, là-bas du côté de la Harazée, pendant que son bruit de tonnerre nous parvient répercuté dans la vallée étroite.

Des abris, encore des abris adossés à la falaise abrupte. A notre gauche, la Biesme qui coule  au milieu d'un terrain marécageux farci de réseaux de fils de fer barbelés.
Large de deux cents mètres peut-être, labouréee de mille trous qui s'enchevêtrent, la vallée est bordée à notre gauche par les collines de la Placardelle, à droite,  par les coteaux boisés du bois de la Gruerie, desquels descendent  des ravins qui ont tous leurs noms au communiqué : la Fontaine aux Charmes, Fontaine Madame, Saint-Hubert où nous allons, du Mortier, des Meurissons, dela Fille morte et enfin de la haute Chevauchée. Noms qui rappellent les temps florissants où cette région étaient peuplée de riches verriers.

Le fourgon s'arrête enfin. C'est là.

Géoprtail - Carte du XIXème siècle
[Note de jphb : On retrouve plusieurs des noms cités par le soldat Mazé sur cette carte d'état-major.]



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