mardi 27 mars 2018

On expérimente des inventions nouvelles

Nous partons à l'Épine, près de Châlons. Nous prenons les camions à Chaudefontaine et par la route Sainte-Menehould - Châlons arrivons directement à domicile.
Nous avons comme officier un lieutenant - Lagarde - et un sous- lieutenant - Latrille - Tous les deux Gadzarts ; Latrille étant mon ancien d'Angers.

Nous ne sommes pas malheureux et faisons des travaux au polygone d'essai de Melette. C'est là qu'on expérimente les inventions nouvelles, souvent plus ou moins heureuses, sorties d'imaginations fertiles.

Fond de carte Géoportail - année 1950

Ont défilé sur ce polygone un tas de bêtises qui, souvent, n'ont eu comme résultat que de faire tuer ceux qui les ont essayées en première ligne tout en procurant à leurs inventeurs une embuscade de 1ère classe.

Tel était le bouclier roulant qui, malheureusement, fut essayé en lignes pour aller couper des réseaux.
  
Sur le forum.pages14-18.com, on peut trouver plusieurs discussions concernant ces boucliers roulants dont celle-ci :

https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?f=14&t=23397

et celle-là :

https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?t=1431 dans laquelle on peut lire :

L'appareil Filloux, sorte de V métallique qu'on fixait au bout du fusil pour couper, d'une seule balle à bout portant, un fil de fer ; le bouclier blindé avec deux trous pour le passage de la cisaille et le mousqueton, dont les roues étaient remplies de sable... Ces appareils sont abandonnés comme fort dangereux... "

Photo extraite du forum.pages14-18.com

Le canon lance-amarres : on lançait avec un mortier une ancre dans le réseau ennemi et on tirait le tout avec un treuil.

Plus intelligente était la torpille Mattéi qui fut la source même des grenades à fusil.

Toujours dans ce même forum fort riche on trouve une description de cet appareil en suivant ce lien.

Nous avons expérimenté nous-même la mine tubée : une espèce de mécanique propulsive, placée dans un endroit préalablement élargi de la 1ère ligne, enfonce dans la paroi des tubes de 102-114 portant une tête pointue chargée d'explosif. Lorsque la distance calculée sous la tranchée où le petit poste boche est atteinte, on fait sauter. Ce n'est pas plus difficile que ça.

Nous avions actionné la mécanique et le tube s'est enfoncé. Nous rajoutons des rallonges au fur et à mesure de l'avancement. Ça marche, il n'y a pas dire. 5 mètres, 10 mètres, 15 mètres. C'est épatant ! Ça marche même trop bien. A un moment donné, nous avançons rapidement et sans résistance.... et que je te rajoute des rallonges.

Un biffin accourt, effrayé. A 15 mètres, là, devant la tranchée, il a vu la terre se soulever et un truc monter en l'air comme un phallus dressé, et ça monte, et ça grimpe. Nous jetons un coup d’œil au-dessus de la tranchée pour y voir une espèce d'asperge gigantesque qui semble à s'y méprendre à notre tête explosive. En ligne, ce sont les boches qui auraient rigolé.

Un jour, le père Joffre, en tournée par là, est venu visiter le camp des élucubrations diverses. On lui a présenté l'inventeur du moment auquel il a serré la main en disant : " Je vous félicite, Monsieur, d'avoir su faire agréer votre invention."

Sarah Bernard  [Bernhardt]

Un jour, de vastes autos arrivent sur le terrain. On en descend une femme autour de laquelle tout le monde s'empresse. Un escabeau, beaucoup de soutien et la voici dans la tranchée, entourée de poilus d'opéra comique et d'officiers d'état-major. Et l'appareil de prise de vues fonctionne à plein rendement.

Collection particulière
Nous nous renseignons. Cette femme à la jambe de bois, c'est Sarah Bernard [Bernhardt], la grande Sarah ; et la scène à laquelle nous venons d'assister passera dans les cinémas : "Sarah Bernard [Bernhardt] visite nos poilus en 1ère ligne"

2ème permission

Je pars une 2ème fois en permission - 15 septembre 1916 - et vais prendre le "dur" à Châlons. 6 jours.
Vitry-le-François, Troyes, Jessains, Sens, Montargis... Voyage plutôt vite fait. Je n'ai mis que tout juste 24 heures pour relier Châlons à Angers. Il y a du progrès.

samedi 24 mars 2018

Un dernier passage aux Naviaux

Je rentre aux Naviaux par Valmy. Par humanité, sous cette chaleur torride de la Champagne pouilleuse, j'ai autorisé mes poilus à laisser leurs sacs à la gare de Valmy sachant que notre fourgon de ravitaillement y passe chaque jour et qu'il nous les ramènera.


Qu'ai-je fait là ? Je me fais enguirlander d'une façon inouïe par Roetlinger qui ne me menace pas moins de me réexpédier à Valmy avec mes zèbres pour y chercher les sacs restés en souffrance.

Arrivée au Naviaux de quelques sous-off de Coligny : Cohen, Dervin, Maigret et consorts... et comme sapeur le petit Rapert, un Gadzart de ma promotion.

Au début d'août, je quitte les Naviaux définitivement.

mercredi 21 mars 2018

Intermède à Châlons-sur-Marne

Peu de temps après, je conduis un détachement faire du pontage à Fagnières près de Châlons. Nous y restons une dizaine de jours peut-être.
Il se trouve là un certain nombre de sous-off retour du front et qui n'engendrent nullement la mélancolie. Ils nous entraînent au Terminus, la maison close de Châlons...


.....
Autre sujet abordé : la vie amoureuse des soldats. Et les anecdotes croustillantes ne manquent pas. Les Sages ont d'ailleurs retrouvé un document authentique intitulé « catalogue des prix d'amour » et recensant les tarifs d'une maison close. On y décrypte des formules improbables telles que la « savonnette impériale russe » ou encore le « glougloutage du poireau ». « Il fallait compter un franc les cinq minutes à l'époque, avec une réduction en cas d'absence de lumière », s'amusent les seniors. Preuve que la vie, malgré tout, continuait.
[Extrait de "La Grande Guerre contée par les Châlonnais. Article de  (© l'Hebdo du Vendredi) du 18 octobre 2016]

Jeton de cette maison close. Peut-être un  faux ?

... Et puis, nous mobilisent ensuite pour une pêche à la grenade dans la Marne. Il n'y a plus guère de poissons dans cette pauvre rivière si maltraitée. Pourtant nous rapportons des hotus... et nous les trouvons délectables.
C'était sans doute la rareté des poissons qui influençait ainsi notre goût car depuis nous n'avons jamais pu sentir les hotus, poissons de très basse qualité et dont personne ne veut - même pas les indigents du pays.

Le hotu
La seule recette acceptable pour la cuisine du hotu : sauté à la poêle par la fenêtre, hihihihihi

dimanche 18 mars 2018

Enfin, une permission

Nous travaillons toujours à la ligne de soutien. Les boches qui s'en sont aperçus font du tir de harcèlement.
Un jour, avec l'aspirant Bergoin, nous essuyons une de ces rafales de 105, un vrai barrage. Nous n'avons que le temps de nous jeter dans une de nos tranchées où nous nous trouvons relativement en sécurité, d'autant plus que nous cavalons bien vite hors de la zone dangereuse.

Mais ô joie ! Je pars pour ma 1ère permission 27 mai 1916. C'est un poème !
Un bel après-midi je descends à pied, à travers le bled, pour gagner Sainte-Menehould. Arrivé le soir, je suis parqué avec beaucoup d'autres dans une baraque Adrian.
Vers 10 heures, départ pour la gare d'embarquement. Deux heures après, le train s'ébranle, fait 500 mètres et s'arrête. Au matin, nous sommes toujours là !
Pourtant nous partons doucement... Saint-Dizier, Jessains (Aube), la gare régulatrice,... Troyes, Sens, Montargis, Orléans.
Une deuxième nuit vient, j'arrive à Angers à 2 heures du matin, à 6 heures à la Possonnière.

A pied ou en train d'Angers à la Possonnière ?
Je repars six jours après. Ce que c'était court une perm !
Et arrive le 7 juin aux Naviaux.

jeudi 15 mars 2018

Dans les airs : "cages à poules" et "saucisses"

Des cages à poules comme avion

Chaque jour des avions boches se promènent dans le secteur. Ils sont les maîtres incontestés et il faut voir nos vieilles "cages à poules" faire demi-tour dès que, de loin, elles aperçoivent un fridolin. Un jour, un Focker en descend une au-dessus de notre ferme. C'est l'époque des grandes hécatombes.

Image de http://fandavion.free.fr/farmanmf7.htm


La grande difficulté pour le fridolin doit être de trouver une victime car nos malheureux pilotes n'osent plus se risquer au-dessus des lignes. Sur ces vieux Farman, sans fuselage, le pilote a l'hélice dans le dos. Il suffit donc au boche d'arriver derrière lui pour le descendre à coup sûr. Avec ça, une vitesse qui doit bien approcher de 80 km à l'heure. Pensez si les Fritz ont la partie belle !
En ce printemps de 1916, les as boches ont dû se multiplier, et ce n'était pas difficile.

A cette époque aussi apparaissent les bimoteurs Caudron. Ils nous semblent lourds et peu maniables. 


Caudron bimoteur

D'un seul coup, un fridolin en enflamme deux au-dessus du bois de la Gruerie. Les deux premiers que je vois flamber. C'est impressionnant. Comme à ce temps-là on ignorait les parachutes, du moins dans les avions, pilotes, observateurs ou mitrailleurs n'avaient d'autre alternative que de se laisser griller comme des hannetons, à moins de sauter dans le vide, ce qu'ils préféraient généralement.

Coup de vent tragique sur les saucisses

Derrière nous, les saucisses d'Hans et de Courtémont sont des observateurs silencieux. Elles aussi auront leur coup dur. Ce devait être le 7 mai  (*). Un soir où, si je me rappelle bien, les Français devaient tenter un coup de main, il survient une bourrasque épouvantable. Les saucisses tirant sur leurs câbles se couchèrent sous la rafale et ..tac.. en voici une qui vient de casser son câble, puis une seconde, puis une troisième. Nous en comptons 7 qui, libérées, s'envolent, montant, roulant sur elles-même, les petites folles. Les nacelles tournant autour dans un amalgame de câbles, de ficelles. Et elles filent tout droit chez les boches, les malheureuses.

Les aérostiers doivent faire une drôle de bille là dedans. A eux de se cramponner. Et voici que les boches s'amusent à leur tirer dessus alors qu'elles vont tout droit chez eux. Ce n'est pas fair-play.

Ce sera la grande débâcle des saucisses et, ce soir là, une trentaine sur l'ensemble du front rompront leurs amarres.

Image d'illustration. Collection particulière


Pendant ce temps-là, au-dessus de nous, une cage à poule, surprise par la bourrasque, essaie péniblement de regagner l'arrière. Elle ne peut y parvenir... il y  des moments où elle recule. Le pilote a toutefois la chance de pouvoir atterrir près de notre cantonnement. Nous courons amarrer son coucou avec des piquets et des fils de fer. De cette façon, il ne sera pas culbuté par le vent.

(*) la date la plus probable est celle du 5 mai selon la page de ce site.